COP 21 : les nouveaux temps de l'aboulie
Etat d'urgence. Voilà ce qu'ont réclamé à de nombreuses reprises les écologistes pour répondre au défi climatique. Mais l'état d'urgence, comme nous montrent les événements terribles de ces derniers jours, est la conséquence d'une réaction de survie. Les ennemis ont passé le mur d'enceinte et ont commencé à égorger les enfants de la cité. La réaction est immédiate; l'énergie déployée pour contrer la menace inédite.
L'urgence écologique existe-t-elle ? Ça ne fait aucun doute, mais à une échelle de temps long. Oui, le temps est exceptionnel et mériterait une réaction à l'image de celle qui se dresse face à la menace islamiste. Mais, dans le cas climatique, « l'exceptionnalité » est diluée dans le temps; autrement dit, le temps n'a pas l'air exceptionnel alors qu'il l'est… Dans ce contexte, aucune peur de mourir n'entraîne la réaction de survie autorisant l'état d'urgence…
Ainsi, à la veille de l'ouverture de la COP21, malgré les discours et l'engagement d'un nombre incalculable de gouvernants, de chefs religieux, d'artistes et de simples citoyens, rien ne prouve que la mobilisation générale pour le climat ait commencé. Au contraire, tout semble laisser penser que nous sommes dans une situation d'aboulie.
Celle-ci est décrite dans une série de discours prononcés entre 350 et 340 par Démosthène. Pour contrer le roi Philippe de Macédoine, il enjoint au peuple d'Athènes de réagir, d'organiser son armée, de lever des fonds pour la guerre… Mais Athènes semble frappé de léthargie. Les citoyens voudraient bien s'opposer aux ambitions du roi Philippe, mais nul ne veut payer de sa personne et de son argent. L'aboulique est un homme du désir à qui il manque la volonté. C'est pourquoi les discours prennent le pas sur les actes: parler, organiser la discussion, c'est aussi soigneusement éviter d'agir…
Face aux ambitions de Philippe, le célèbre Athénien exhortait son peuple à prendre en main son destin, affirmant qu'il fallait chercher « ce qui était utile et salutaire au lieu de ce qui était facile et agréable », mais, dans le même temps, il se rendait bien compte que tous restaient inactifs ou satisfaits, les uns « d'avoir dit ce qui était juste, les autres de l'avoir entendu dire ». Le peuple se faisait complice des orateurs, tous à l'unisson dans l'inaction…
Ce vieux discours dépeint avec acuité l'ambiance de notre temps parce que la mobilisation pour le climat dans le cadre de la COP21 est pleine des mêmes faux-semblants. Il faut dire que le défi est immense et qu'il est plus facile d'en faire le constat que d'élaborer et de mettre en œuvre un plan d'action efficace dans un contexte où la croissance économique, premier objectif des gouvernants du monde entier, sert l'amélioration de nos conditions de vie. Car, dans la mesure où le fameux développement durable n'a pas encore été inventé, il s'agirait plutôt de sacrifier un peu de bien-être pour assurer un futur plus serein. Mais tout renoncement est inacceptable pour tout un chacun tant il est plongé dans une satisfaction immédiate enivrante.
En d'autres temps, Démosthène soumettait l'idée d'utiliser « l'argent des spectacles ». Sacrifier le superflu au bénéfice du nécessaire est une idée frappée au coin du bon sens lorsque le danger menace. Mais rien n'allait de soi pour les Athéniens qui, comme l'homme contemporain, se raccrochaient à leurs biens comme à leur vie…
À ce propos, il est un fait divers récent qui n'est pas passé inaperçu, mais dont personne n'a semble-t-il révélé la charge symbolique. Il s'agit de la mort tragique, le 8 août dernier, de Philippe Germa. Il était directeur général du WWF France, l'une des ONG françaises les plus engagées dans le combat contre le changement climatique et les plus actives dans la préparation de la COP21. Ce sont les circonstances de sa disparition qui sont révélatrices: il est décédé lors d'une séance de plongée en Polynésie française, à plus de 15 000 km de Paris… Il est de notoriété publique qu'un des facteurs les plus puissants du changement climatique est la croissance des transports, et notamment du transport aérien. Le développement spectaculaire des escapades au bout de la terre, pratiquées par un nombre croissant de « citoyens du monde », est un des symboles de la montée en puissance de l'industrie du loisir qui ne se soucie guère des dégâts qu'elle provoque.
Si l'on tient un décompte sérieux des rejets de gaz à effet de serre, il vaudrait sans doute mieux demander l'annulation de cette conférence, tant il est certain qu'elle accouchera d'une souris comme celles qui l'ont précédée. On éviterait au moins les tonnes de CO2 nécessaires pour acheminer les participants vers Paris.
On l'aura compris : ce qui est dénoncé ici ne sont pas les comportements – ils sont banals dans les sociétés ou les cénacles de bien-être – mais l'hypocrisie qui entoure la question du changement climatique lorsque les actes sont contraires aux discours. Est-ce à dire qu'on ne peut rien faire? Pas tout à fait.
Le problème est celui de la capacité des gouvernants à s'attaquer à une question à la fois planétaire et qui s'inscrit dans le temps long. L'intelligence scientifique et spéculative peut bien aider à circonscrire un problème et imaginer les contours d'une solution, l'action politique continue malgré tout de s'inscrire dans le local et le court terme où domine la nécessité de satisfaire les besoins, même superflus. Le défi écologique est un défi de l'histoire naturelle alors que le politique s'inscrit dans l'Histoire. Il serait plus facile dans ce contexte d'avoir maille à partir avec le roi Philippe…
L'espoir réside aujourd'hui dans les capacités de l'homme à inventer des formes de développement qui ne soient pas destructrices. Un large pan de la science est aujourd'hui mobilisé pour inventer ce développement durable qui permettra de répondre aux enjeux écologiques sans contraindre la passion du bien-être. Pour l'heure, personne ne songe sérieusement à sacrifier « l'argent des spectacles », à moins que ce ne soit sous la pression des événements… En attendant, l'éloquence de congrès – pour reprendre une expression d'Aldo Leopold – est là pour nous faire croire le contraire. Mais, sur l'agora, personne n'est dupe car tout le monde est complice.