Pourquoi pas des chiens d'ornithologues ?
Voici le récit d'une rencontre improbable avec un oiseau mythique. Un chien de chasse et son maître inspirent ici quelques réflexions à l'ornithologue.
C’était une belle journée d’automne. Après un copieux déjeuner, la promenade digestive s’imposait : celle-ci serait consacrée aux champignons. Il y avait mon père, il y avait ma mère. Il y avait un ami chasseur, pour l’occasion sans fusil, sa compagne et enfin, sa chienne Brune. Nous partîmes ainsi jusqu’au bois.
En chemin, nous parlions des oiseaux, ceux que le chasseur ramène dans sa besace et ceux que le naturaliste étudie. Le chasseur disait que ces bois devaient abriter quelques bécasses car, selon lui, le milieu était favorable et nous étions en plein passage. À vrai dire, j’avais toujours pensé que cet oiseau mythique fréquentait les lieux, sans espoir de l’y croiser un jour.
Arrivé au bois, le groupe se dispersa lentement, chacun poursuivant sa quête. Assurément, Brune était la plus enthousiaste et bien que tous furent à un endroit différent, tous aperçurent à un moment donné son poil blanc ponctué de noir.
Puis, vint le moment du rassemblement, celui qui annonce le retour au bercail. Tous étions à nouveau réunis sur le chemin à l’exception de ma mère, la plus opiniâtre et la plus efficace à traquer le bolet, et de Brune. Nous constatâmes que nous étions bredouilles ; plus pour longtemps et ma mère allait manquer l’immanquable…
Car tandis que mon père sans succès appelait sa moitié, le chasseur aperçut la sienne (celle de ses escapades cynégétiques) derrière un fourré. Aussitôt, il comprit qu’elle avait levé du gibier. Il la rejoignit lentement en la contournant sur sa gauche tandis que nous attendions sur place sans trop y croire. Soudainement, avec une voix tonitruante, le chasseur s’exclama que « c’était magnifique ! » ; et, avec des cris de joie, nous pria de le rejoindre instamment.
Ce que nous vîmes en arrivant valait bien un parterre de girolles.
La chienne Brune, le poil dressé, se tenait immobile. À portée de truffe se terrait une bécasse. Malgré notre approche pataude, nos tenues criardes et nos commentaires bruyants, les deux protagonistes, à quelques mètres à peine, étaient figés. Sans doute aurions-nous pu entamer une danse sans qu’ils s’en émeuvent. Leur instinct leur commandait alors l’immobilité. Après quelques minutes de calme observation, le chasseur donna le signal. Brune fondit alors sur sa proie qui s’envola en rase-motte puis prit soudainement la verticale pour disparaître dans la canopée.
Nous venions d’assister à un spectacle très rare : une bécasse posée dans son milieu naturel. Car la bête est reine de discrétion et, si l’on peut la voir parfois, c’est à l’époque de la croule[1], mais ce diable d’oiseau est alors toujours en vol…
Ce récit m’inspire plusieurs commentaires. Que de talent d’abord chez ces chiens de métier ! Trouver l’oiseau, ensuite se mettre à l’arrêt et enfin le tenir ! Car Brune, plutôt que de s’abattre précipitamment sur sa proie, attend les commandements de son maître ! "Elle tient l’arrêt ». Sans un mot ou sans un geste du chasseur, elle pourrait rester des heures immobile ! Ce comportement facilite grandement la traque du bécassier et en diminue d’autant son mérite. L’éthique de la chasse devrait à tout le moins lui imposer de troquer son fusil contre un arc ou une épuisette et son « sport » en deviendrait assurément plus respectable.
Ensuite, combien de fois avais-je du passer tout prés d’une bécasse sans la voir ? Sans doute des dizaines. Et si je multiplie ces dizaines par le nombre de naturalistes, mon Dieu que d’occasions manquées ! Si bien que je m’interroge : pourquoi les ornithologues n’utilisent pas davantage le meilleur ami de l’homme ? Je fréquente les amis des oiseaux depuis 25 ans et jamais je n’ai été le témoin d’une discussion sur l’utilisation des chiens – j'en ai encore moins vu la pratique. Pourtant, ils permettraient de multiplier les belles observations et le recensement de certaines espèces comme la bécasse ou la Gélinotte des bois s’en verrait grandement facilité.
Mais, manifestement, les passionnés des oiseaux préfèrent s’en tenir à des « artifices » plus conformes que sont les jumelles et les longues vues.
A l'écoute de mon récit, un ornithologue éminent me fit même la confidence suivante : « tu sais, les ornithologues se désintéressent de certaines espèces et la bécasse en fait partie. Pour avoir des informations fiables sur cette espèce, il nous faut toujours interroger les fédérations de chasseurs ».
Les naturalistes devraient peut-être songer à conquérir leurs territoires délaissés et pourquoi pas avec « des chiens d’ornithologues » ? Ainsi, les dimanches d’automne à la campagne, sur les territoires déjà fréquentés, ils feraient fuir les bécasses au devant de chiens bondissants. Certes, ils dérangeraient l’animal, mais se diraient à chaque fois : « encore une ce matin dont l’homme au fusil ne verra pas le boyau ! ».
Bertrand ALLIOT
[1] La croule est la parade de la bécasse qui a lieu au printemps