Confinement : la faune ne “revient ” pas dans les grandes villes, elle n’en est jamais partie !

Interview publié dans Valeurs actuelles le 08/04/2020

Si le confinement laisse davantage de place à la faune, on aurait tort de croire que celle-ci n’existe que lorsque l’homme s’efface, explique Bertrand Alliot, membre du conseil d'administration de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPOValeurs actuelles, 08/04/2020) et créateur d’une chaîne Youtube sur la nature en ville. Spécialiste du “récit écologiste” et de ce que celui-ci dit de nous, il vient de publier Une histoire naturelle de l'homme (éditions l'Artilleur, collection Grandeur Nature). Entretien.

Valeurs actuelles. On entend dire ici et là que, du fait du confinement, la faune serait de retour à Paris ou dans les grandes villes ; vous soutenez qu'elle a en réalité toujours été là ; à quelles espèces pensez-vous en particulier ?

Bertrand Alliot. Beaucoup d'espèces sauvages sont en effet présentes en ville toute l'année. Bien sûr, les plus visibles sont les oiseaux. De nombreux passereaux s'y reproduisent (mésanges, moineaux, rougequeues, hirondelles, etc.), mais aussi d'autres qui sont beaucoup plus spectaculaires comme la Chouette hulotte, le Faucon pèlerin, l'Epervier d'Europe...  Ou des espèces étonnantes comme le Cincle plongeur que j'ai personnellement vu se reproduire en plein milieu de l'agglomération de Clermont-Ferrand dans une rivière polluée !

Il y a aussi, c’est moins connu, bon nombre de mammifères ou d'amphibiens. Qui sait qu'on peut habituellement croiser dans la capitale des fouines, des renards, des hérissons, des crapauds ou observer des castors en centre-ville d'Orléans ?

Il ne faut pas oublier les plantes. Peu de personnes le savent, mais certaines orchidées sauvages poussent chaque année dans Paris intra-muros !

Il ne s'agirait donc aujourd'hui que d'un surcroît de visibilité et d'attention ?

Oui, en grande partie. Par exemple, des images de Canard colvert en plein milieu de Paris ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, mais c'est une espèce commune dans la Capitale. Il est même très courant que, pour nicher, des couples s'installent sur les balcons parce qu'ils s'y sentent à l'abri des prédateurs. Chaque année, la LPO est ainsi appelée à la rescousse pour sauver les canetons qui, pour rejoindre la Seine ou le Canal Saint Martin, s'apprêtent, au péril de leur vie, à s'élancer du 7ième ou 8ième étage ! 

Mais, il faut reconnaître que le confinement incite probablement les espèces déjà présentes à s'aventurer dans des lieux qu'ils ne fréquentaient pas auparavant. Les espèces s'habituent assez vite aux modifications de leur environnement. S'il y a moins d'humain, la tentation est grande de s'approprier de nouvelles zones pour chercher sa nourriture, ou pour installer son nid ou sa portée. 

L'impact peut aussi être positif sur la flore qui va être à l'abri du piétinement ou de la tondeuse à gazon. En temps normal, dans certains endroits très urbanisées, pouvoir produire des fleurs ou des fruits est un tour force pour certaines plantes. Comme nous entrons dans la période de floraison des Orchidées, nous allons ainsi peut-être constater qu’elles se développent avec plus de facilité et d’ampleur que les autres années… 

Vous soulignez aussi que certaines espèces dépendent beaucoup de nous et que, de ce fait, elles souffrent aujourd'hui de notre moindre activité ; de quelles espèces s'agit-il ?

Certaines espèces sont effet « commensales » de l’homme ce qui signifie qu’elles vivent à ses crochets. Je pense aux rats bien sûr qui font la une de l’actualité parisienne depuis des mois, mais aussi aux moineaux et aux corneilles par exemple. Ces espèces exploitent les déchets alimentaires que les citadins délaissent dans les rues. Il est donc probable que le confinement va avoir un impact négatif sur elles. Certaines vont peut-être s’éloigner de leur lieu de séjour habituel pour chercher leur nourriture. Ces comportements seraient très intéressants à étudier, mais le confinement rend paradoxalement les observations plus difficiles !

Depuis plusieurs années, il existe cependant un programme de marquage et de suivi des Corneilles Paris mené par le Muséum National d’Histoire Naturelle. Peut-être que l’exploitation des données dans les mois à venir va nous montrer des mouvements inhabituels. J’incite donc les gens à bien observer les Corneilles et à vérifier si elles sont porteuses de bagues numérotées. Si c’est le cas, il faut envoyer toutes les informations (dont le numéro de la bague bien sûr) à l’adresse suivante : corneilles@mnhn.fr


On a facilement tendance à opposer l'homme à la nature ; l'idée de la symbiose, disons de l'accord plus ou moins harmonieux, n'est-elle pas au fond plus pertinente ?

En fait, le mot symbiose est bien trop fort notamment parce qu’il implique un rapport de réciprocité. Si les rats des villes ou les moineaux profitent de nous, l’inverse n’est pas vrai… La notion d’équilibre est aussi trompeuse à mon avis. Je préfère parler d’ « ordre ». La nature, suivant le lieu, suivant l’époque, est ordonnancée d’une certaine manière et cet ordonnancement évolue en permanence. Rien n’est jamais figé et c’est pour cette raison que je n’aime pas la notion d’équilibre.

En tout cas, au cours du temps, beaucoup d’espèces sont venues se « greffer » sur l’espace vital des êtres humains. Sans les hommes, certaines n’existeraient pas ou auraient des populations beaucoup plus réduites. Je pense par exemple à certaines espèces d’hirondelle ou de martinet. L’inverse est aussi vrai : sans les hommes, certaines espèces se porteraient mieux ou n’aurait pas disparue. Mais tout ceci est assez banal du point de vue de l’histoire naturelle. Il y a toujours eu des interactions entre les familles d’êtres vivants ainsi que des recompositions des cortèges d’espèces.

La facilité avec laquelle faune et flore font leur "réapparition" vous surprend-elle ? Qu'en est-il au-delà des villes ?

Je ne suis pas surpris car j’ai pu constater à de très nombreuses reprises la facilité avec laquelle la nature réinvestit des endroits laissés à l’abandon. Vous savez, lorsque que les carrières de granulat ont fini d’être exploitées, elles deviennent de véritables paradis pour les oiseaux très fréquentées par les ornithologues... Je me suis aussi promené très récemment à Prypiat, cette ville abandonnée dans la zone de Tchernobyl. Aujourd’hui, c’est une belle, riche et vaste forêt. Les bâtiments sont encore debout, mais éventrés de toute part. La nature peut très rapidement effacer nos traces…

Devant une telle vigueur, a-t-on tort de penser que la Nature est en danger, comme cela nous est asséné en permanence ?

La nature, pas plus que la planète, n’est en danger. Par contre, certaines espèces le sont. On oublie pourtant que beaucoup d’entre elles se portent bien mieux aujourd’hui qu’hier. Il y a 40 ans, il était rare d’observer en France le Hibou grand-duc, le Pic  noir, la Loutre d’Europe, le Héron cendré, le Loup gris ou l’Aigrette garzette et je pourrais multiplier les exemples. Ces espèces sont devenues communes. Nous avons une propension assez incroyable à ne mettre en exergue que le côté négatif.

Par ailleurs, à l’échelle du globe, l’espèce humaine poursuit son développement et va continuer de bousculer les « ordonnancements ». Cela fait des millénaires que cela dure et il n’y a aucune raison que cela change. Je ne crois pas que ces évolutions nous menacent. Je pense simplement qu’elles nous chagrinent. Parce que nous nous savons mortels, nous avons besoin de nous raccrocher à un ordre immuable qui ne peut-être que mythique. Sachant cela, nous devons considérer avec recul certaines annonces apocalyptiques. Nous allons essayer de protéger les espèces non parce qu’elles nous sont utiles, mais parce que nous aimons leur compagnie, au moins aussi farouchement que celle de nos châteaux et de nos églises.

Un conseil d’observateur confiné ?

En ces temps de confinement j’invite tout le monde à participer à l’opération « Confinés mais aux aguets » organisée par la LPO et le Muséum national d’Histoire naturelle. Il s’agit d’une vaste opération de science participative. Vous êtes invités à observer les oiseaux depuis votre domicile et de transmettre vos observations. Ainsi vous apprendrez à identifier les nombreuses espèces qui vivent à nos côtés. Voilà une seine occupation ! Rendez-vous sur www.oiseauxdesjardins.fr