Une électricité verte ? Vraiment ?
Publié sur Valeurs Actuelles le 29 mars 2022
« Qu’elle est verte mon électricité ». Vous le pensez peut-être, vous qui avez conclu un contrat d’électricité verte auprès d’un fournisseur spécialisé. Le marketing vert va bon train, mais comme dans d’autres domaines, il faut rester sur ses gardes. L’électricité que vous consommez peut-elle être vraiment écologique ?
En réalité, vous consommez la même électricité que tout le monde
Il faut d’abord rappeler qu’il est impossible de déterminer la provenance de l’électricité que vous recevez à votre domicile : vous êtes, comme tout le monde et malgré votre contrat « écolo », relié au réseau électrique : l’électricité que vous consommez est la même que celle de vos voisins. En France, elle est à 70 % nucléaire et seulement à 24 % d’origine renouvelable provenant de l’hydraulique (12 %), de l’éolien (7 %), du solaire (3 %) et du thermique (2 %). En fait, lorsque vous souscrivez un tel contrat, la seule chose qui vous est garantie est qu’une quantité d’électricité d’origine renouvelable équivalente à votre consommation a été injectée dans le réseau.
La plupart du temps, votre fournisseur achète de l’électricité nucléaire à EDF (à un prix régulé de 42 euros par MGH) ainsi qu’une « garantie d’origine » (GO) assurant que la quantité d’énergie renouvelable qu’il vous a promise a bien été produite. L’astuce de ce système réside dans la possibilité d’acheter la GO à un producteur différent de celui auprès duquel l’électricité a été achetée. Le vendeur de GO peut même se situer dans un autre pays européen si bien que vous pouvez financer les exploitants des barrages hydroélectriques norvégiens ou des fermes éoliennes danoises ! Il n’est même pas nécessaire d’acheter l’électricité en même temps que la GO : votre fournisseur a un délai d’un an pour les acheter, ce qui lui donnera l’occasion de le faire au prix le plus avantageux possible.
Un système de « garanties d’origine » opaque
Ce système était censé favoriser le financement de projets de nouvelles installations de production d’énergie renouvelable, mais on s’est rapidement aperçu que la grande majorité des GO achetée en France émanait d’installations hydroélectriques dont le coût d’installation avait été amorti depuis longtemps. Le système des GO, plutôt que de favoriser la transition énergétique, avait entraîné des effets d’aubaine. Par ailleurs, le principe écologique de base « produire et consommer localement », comme on le comprend, n’a jamais été respecté. C’est pour ces raisons que l’ADEME a récemment mis en place le label « VertVolt ». Celui-ci permet de garantir que le fournisseur d’électricité achète 100 % d’électricité renouvelable ainsi que les garanties d’origine correspondantes à des producteurs français. Ainsi, vous pouvez, en sélectionnant attentivement votre offre, conclure un contrat qui sera a priori plus conforme à vos convictions écologiques.
Il faut cependant garder un œil critique. En regardant les offres des entreprises labellisées VertVolt, on découvre qu’elles sont la plupart du temps basées sur une production d’électricité issue de centrales solaires ou éoliennes. Or la question fondamentale est la suivante : ces énergies renouvelables sont-elles vraiment vertes ? En effet, un système de production basé sur l’éolien et le solaire génère des problèmes environnementaux importants. Le plus connu est lié à l’intermittence de leur production : lorsque le vent ou le soleil se couche, la production s’arrête. C’est pourquoi il faut que d’autres types d’unités de production puissent prendre le relais pour assurer la continuité de l’approvisionnement. Il peut s’agir de centrales nucléaires ou d’unités de production au charbon ou au gaz (comme c’est le cas en Allemagne) qui ont l’avantage de pouvoir produire de l’énergie à la demande. Et, dans le cas du nucléaire, avec des émissions de gaz à effet de serre quasi nulle (6 gCO2e/kWh contre 10 gCO2e/kWh pour l’éolien terrestre).
Les lourds défauts environnementaux des énergies renouvelables
Les énergies renouvelables solaires ou éoliennes nécessitent donc obligatoirement d’avoir deux systèmes de production parallèles de même puissance ce qui entraîne des nuisances environnementales importantes dans la mesure où il faut « mobiliser » beaucoup plus de matière première et d’énergie pour construire et entretenir les deux infrastructures. Par ailleurs, par la force des choses, les installations solaires et éoliennes sont souvent dispersées un peu partout sur le territoire. Beaucoup de travaux d’infrastructure impactant l’environnement sont nécessaires pour les relier au réseau principal. La durée de vie des installations est aussi problématique. Elle se situe entre 20 et 30 ans ce qui est bien inférieur aux centrales pilotables qui peuvent aller au moins jusqu’à 80 ans. La nécessité de remplacer les unités de production à un rythme plus élevé va donc alourdir le coût écologique de ces solutions. Enfin, il existe d’autres nuisances qui sont déjà connues du grand public. L’éolien dégrade certains paysages naturels remarquables (on pense par exemple à la montagne Sainte Victoire dans le pays aixois) et tue chaque année par milliers des oiseaux et des chauves-souris. Le solaire, lui, grignote des terres agricoles ou forestières. Actuellement, dans le sud-ouest de la France, un projet avec des panneaux solaires pourrait remplacer, sur des milliers d’hectares, les arbres de la forêt… Encore une fois, dans une optique environnementale fondée sur la limitation des émissions de CO2 et le moindre impact sur les paysages, le nucléaire apparaît in fine comme une offre « plus verte » qu’il n’y parait.
Considérer seulement les quantités de CO2 produites lorsqu’une éolienne ou un panneau solaire sont en fonctionnement est donc une erreur. C’est l’ensemble de l’impact environnemental du système de production qui doit être considéré sans oublier que les émissions de CO2 ne constituent qu’une partie seulement de cet impact. Si votre offre est basée majoritairement sur une énergie éolienne et solaire, il n’est donc pas certain, tant s’en faut, qu’elle puisse être qualifiée de « verte » même si elle a été labellisée comme telle. La souscription d’un contrat basé sur l’hydraulique serait sans doute la meilleure option, car cette forme d’énergie cumule deux avantages. Le premier est d’être renouvelable, le second est d’être pilotable. Le plus souvent, les installations hydroélectriques sont en effet capables de produire sans interruption et ne nécessitent donc pas le doublement des infrastructures. Elles sont aussi pilotables dans la mesure où l’intensité de la production peut être réglée à la hausse ou la baisse en temps réel. Malheureusement, il existe aujourd’hui très peu d’offres de ce type et peut-être voyez-vous d’un mauvais œil le fait de transformer de belles vallées en lacs artificiels...
Il faut se faire une raison : on ne peut produire de l’électricité sans impact sur l’environnement et les sources d’énergie les plus vertueuses ne sont pas forcément celles qu’on croit. La Commission européenne a proposé récemment d’inclure le nucléaire — et le gaz sous la pression allemande — dans la taxonomie verte qui classe les activités économiques en fonction de leurs émissions de CO2 et de leurs conséquences sur l’environnement. Il se pourrait donc bien que très vite, quelle que soit l’offre souscrite, chacun puisse se prévaloir d’un contrat vert et il va être de plus en plus difficile d’être plus « écolo » que son voisin.