La transition n'aura pas lieu !
Chronique pour le magazine Transitions & Energies de septembre 2024
« Transition écologique », « transition énergétique »… L’expression est devenue un mantra. Ces mots sont sur la première page de ce magazine, dans tous les journaux, les documents programmatiques de la Commission européenne et des ministères et si souvent présents dans la bouche des chefs d’États et des chefs d’entreprises. Mais, ce beau monde ne serait-il pas adepte de la méthode Coué ?
En effet, après tant d’années d’effort, les résultats sont pour le moins ridicules. La quantité d’énergie produite par les énergies renouvelables a augmenté, mais la part des énergies fossiles dans le bouquet énergétique mondial est restée stable. Depuis des décennies, environ 80% de l’énergie consommée dans le monde provient du fossile. La production de charbon continue d’augmenter et on s’attend, en 2024, à battre le record de consommation de pétrole qui datait de 2019.
Certains, bien sûr, n’aiment pas les faux-semblants et affirment sans détour que la transition n’aura pas lieu : des spécialistes comme Vaclav Smil, mais aussi l’homme de la rue qui, armé de bon sens, a bien compris les ordres de grandeur constituant un mur infranchissable… Mais, il s’est constitué au fil du temps une grande armée de gens dont les revenus dépendent de la transition ou plutôt du fait que le monde continue de croire qu’elle soit possible. Faute de mieux, ils se raccrochent au système de production basé sur les énergies renouvelables, le nucléaire et sur les économies d’énergie. Mais, même un tel système qui bénéficie aujourd’hui de milliard d’investissement a les plus grandes difficultés à se mettre en œuvre.
L’alarmisme écologiste qui veut imposer un rythme effréné à la transition est paradoxalement en train d’empêcher qu’elle se déploie. L'installation de nouvelles infrastructures nécessaires pour qu’elle devienne réalité est de plus en plus difficile. Au nom de la biodiversité qui, après le climat, est le deuxième sujet qui nourrit le catastrophisme écologique, le déploiement des parcs éoliens est par exemple plus contesté que jamais. Des décisions de justice ont récemment demandé le démantèlement d’un parc éolien pour le bien-être des rapaces ou l’arrêt du fonctionnement d’un second pour que les chauve-souris puissent vivre en paix. Devant les tribunaux, l’arme de la biodiversité est de plus en plus utilisée. Le projet d’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne qui doit relier Bordeaux à Bilbao par l’océan en a récemment fait les frais. Ce projet qui doublera les capacités d’échange d’électricité entre les deux pays est, selon les autorités françaises et européennes, essentiel pour la transition énergétique. Il permettra notamment de transférer le surplus d’électricité éolienne produite dans la péninsule ibérique. Pourtant, il a été suspendu le 14 août à la suite d’une ordonnance du tribunal judiciaire de Bayonne qui, après avoir été saisi en référé par l’association Sea Shepherd, a posé des conditions à la reprise du chantier : la réalisation d’une étude d’impact sur l’utilisation des sonars et la mise en place d’un plan d’atténuation des effets du bruit sur les milieux aquatiques. Les études préparatoires à l’implantation des câbles sous-marins sont donc ralenties pour le bien-être des cétacés et la ministre espagnole de la transition écologique ne décolère pas…
Qu’il s’agisse de construire une ligne à très haute tension en choisissant de passer triomphalement par une belle vallée pyrénéenne ou discrètement dans les eaux habitées par les dauphins, l’option choisie ne contente jamais les représentants de l’écologie associative qui utilisent l’arsenal législatif mis à leur disposition par les autorités. En réalité, tout se passe comme si les militants, en même temps qu’ils poussaient aux changements radicaux, créaient les conditions pour que ces derniers n’adviennent jamais. L’activisme écologique qui entend lutter contre la « crise climatique » produit son propre antidote en agitant la « crise de la biodiversité ».
Cette mésaventure doit pousser les autorités à questionner la place qu’a pris l’alarmisme écologiste dans la définition des politiques publiques. Elles doivent notamment considérer avec circonspection les éléments de langages que les ONG fournissent sur la biodiversité au risque de devoir renoncer à un nombre considérable d’infrastructures qui feront la viabilité et la stabilité du futur système énergétique. La protection des espèces a fait des progrès considérables depuis 50 ans et beaucoup d’entre elles se portent beaucoup mieux qu’avant. Pourtant, la législation ne cesse de se renforcer conduisant à des situations de plus en plus ubuesques dans tous les secteurs économiques. Cette prise de conscience sur la biodiversité devrait amener les autorités, par analogie de raisonnement, à s’interroger sur l’alarmisme climatique qui a très largement forger les contours de la transition énergétique actuelle.
Cette réévaluation aidera les acteurs de la transition à admettre enfin ce que tout le monde sait : la part des énergies fossiles ne baissera pas au rythme souhaité. Autrement dit : la transition n’aura pas lieu. C’est à partir de ce diagnostic lucide qu’il faut préparer les solutions réalistes de demain. Les bâtons que les écologistes mettent dans les roues de la transition sont en réalité une belle opportunité pour revoir de fond en comble notre approche des politiques énergétiques. Libérés de leur emprise, il sera alors possible de concevoir et de mettre en œuvre une transition réaliste.