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Eddie Puyjalon a débuté sa carrière comme ouvrier dans une usine d’engrais, la COFAZ, aujourd’hui un site démantelé où il demeure encore aujourd’hui en tant qu’agent de maîtrise pour la société FORESA sur l’unité de ses débuts. Il habite dans une zone résidentielle de la petite commune de Cubzac-les-Ponts, située à une vingtaine de minutes au nord de Bordeaux. La Dordogne coule dans les environs ; la vigne, les pins et le marais font partie du paysage.
Le côté protestataire de Monsieur Puyjalon ne transparaît pas au premier abord. Cela tient sans doute à sa discrétion, au fait qu’il n’élève jamais la voix, mais aussi que beaucoup de choses sont chez lui « simples et soignées » : son habillement, ses petites moustaches, la coupe courte de ses cheveux noirs. Cet aspect se retrouve d’ailleurs dans son environnement immédiat : la maison et le garage sont parfaitement rangés et entretenus, le dallage extérieur balayé, la pelouse tondue. Il n’y a guère que les tomates qui ont « attrapé la maladie » à cause des pluies incessantes du printemps, qui semblent avoir manqué d’attention.
Au fond du jardin, des volières immenses abritent un nombre de canards impressionnant. Beaucoup sont des hybrides, mais derrière les anomalies de plumage, l’observateur attentif reconnaîtra aisément certaines espèces : sarcelles, souchets, siffleurs, pilets, etc. À l’approche du visiteur, tout ce beau monde s’agite bruyamment. Un vieux réflexe les voudrait faire s’envoler, mais l’une de leurs ailes coupées les entraînent dans des mouvements comiques et désordonnés. Aveugle et boiteuse, seule la doyenne des canes (elle a plus de vingt ans !) sait rester digne. L’inquiétude que ses congénères expriment à travers leur agitation stérile, elle la fait passer tout entière dans son œil blanc qui vous "regarde".
La bonne forme des oiseaux et leur fécondité démontre qu’ils sont, eux aussi, bien soignés : ils mangent à leur faim et profitent de bassins à l’eau constamment renouvelée par une source qui traverse la petite propriété. Il faut dire que ces palmipèdes ne sont pas seulement là pour la décoration. À la saison de chasse, ils servent d’appelants et, au dire de leur propriétaire, certains d’entre eux jouent leur rôle avec loyauté et professionnalisme...
Manifestement, Eddie Puyjalon aime et connaît particulièrement bien la faune. Il a laissé celui que les ornithologues nomment le « troglodyte » et qu’ici on appelle le « roitelet » construire son nid dans le garage. La chienne, bien portante, est chaleureuse et semble apprécier la compagnie des volatiles. Quand vous faites remarquer à son propriétaire que le torcol chante à tue tête dans le voisinage et que le milan noir survole les canards inaccessibles, il semble savoir parfaitement à quelles espèces vous faites référence : c’est certain, ce chasseur de gibier d’eau ne connaît pas seulement les espèces qu’il a le droit de mettre en joue.
Dans la salle à manger, il y a deux vitrines pleines d’oiseaux naturalisés. On y reconnaît beaucoup d’espèces gibiers, mais aussi un certain nombre d’espèces protégées comme une avocette, un martin-pêcheur ou encore un héron bihoreau... Le propriétaire vous fait bien comprendre qu’elles n’ont pas été braconnées, mais collectées çà et là en diverses occasions. La plupart du temps, elles ont été retrouvées mortes. Cette collection d’un autre âge a d’abord et avant tout une valeur sentimentale inestimable. Et pour cause, elle est l’héritage d’un père aujourd’hui disparu qui, en des temps éloignés, a exercé la profession de taxidermiste.
De l’enfance à l’âge d’émancipation
Eddie Puyjalon est né en 1959 à Cubzac-les-Ponts dans l’une des familles les plus anciennes du village. Ces grands parents maternels étaient vignerons, mais on pourrait aussi bien dire paysans dans la mesure où la ferme pourvoyait à la majorité des besoins : comme c’était le cas dans beaucoup de familles à cette époque, on cultivait un jardin et on élevait des animaux : poules, canards, cochons, etc. Son père était paysagiste et sa mère ouvrière à l’usine Sanofi toute proche. Sa famille n’a donc jamais quitté le village. Ses grands parents étaient proches du communisme et ses parents du socialisme. Il a donc grandi dans une famille de gauche bien que, dit-il, il n’ait jamais été entouré d’idéologues. Il se dit plutôt issu d’une culture « humaniste » où les valeurs du partage, de l’entraide avaient de l’importance et où l’on n’hésitait pas à s’engager. Sa mère a ainsi longtemps milité à la CGT comme lui et son frère aujourd’hui.
Durant sa jeunesse, il fut clairement marqué par la vie rurale. Il se souvient avec émotion du bruit des presses mécaniques, des travaux de la vigne lorsqu’on devait « tirer les cavaillons », les fréquents et chaleureux repas de famille. Il se souvient de ces journées passées à la pêche avec son grand-père. À midi, sa grand-mère parcourait sept kilomètres à vélo pour leur apporter le casse-croûte. Elle déjeunait avec eux et repartait travailler la vigne.
Eddie Puyjalon accompagnait régulièrement son aïeul qui chassait le canard dans le marais. Cette zone humide, immense et mystérieuse, lui faisait peur, surtout la nuit. En de nombreuses occasions, il venait cependant y attraper des grenouilles vertes qu’on cuisinait ensuite à l’ail et au persil. Aujourd’hui, elles ont malheureusement disparu à cause de l’une des espèces invasives qui, ces dernières années, ont colonisé la France : la grenouille taureau, énorme amphibien capable d’avaler des oiseaux ! Il se souvient aussi lorsqu’il participait à l’engraissement des canards : on mélangeait alors du son qui était bon marché avec des orties coupées. Les volatiles profitaient bien de l’astucieuse mixture.
Il fut élevé dans la religion catholique. Sa famille respectait les rites : la messe du dimanche, les rameaux, les communions... Il allait aussi à l’école du curé. Bref, il était intégré à cette temporalité rurale rythmée par les travaux des champs et les cloches des églises. Il a gardé une affection pour les prêtres-ouvriers qui avaient une expérience de la « vraie vie » et qui n’avaient pas d’exigences ou d’objections de principes comme certains curés d’aujourd’hui. Malgré cette éducation traditionnelle, il n’a jamais obligé sa fille à quoi que ce soit en matière de religion. Il ne la « dirige vers rien » dit-il. Il se définit d’ailleurs lui-même comme « croyant non-pratiquant ».
Durant son adolescence, pendant les deux mois d’été, il était envoyé chez ses grands- parents paternels. Il garde surtout le souvenir de son grand père qui avait fait la guerre et qui n’hésitait pas à raconter son passage à Auschwitz et les cinq années durant lesquelles il fut prisonnier de guerre. Il mentionnait les moments difficiles, mais relatait également les rares éléments positifs. Il parlait volontiers de ce gradé allemand qui l’appréciait et qui, en le mettant un peu « à l’abri », l’avait aidé à traverser ces années de guerre en territoire ennemi. Le souvenir de cet aïeul rappelle à Eddie Puyjalon l’importance de la transmission orale. Il se souvient qu’on lui contait les actes de résistance, lorsque les gens de la campagne cachaient les fusils dans le fumier pour les mettre hors de portée des Allemands. L’histoire de France était toujours racontée. Il n’y avait pas de coupure entre les générations. Ceci n’est sans doute plus vrai aujourd’hui. C’est en tout cas ce qu’il ressent.
Eddie Puyjalon n’a pas fait de longues études. Il a passé un BEP (Brevet d’Etude Professionnel) d’electro-mécanique et a très vite rejoint le monde des actifs. Il a travaillé dès 14 ans durant les périodes estivales. Au terme de son service militaire, effectué à Lyon, il est entré à l’âge de 19 ans à la COFAZ où il œuvre encore aujourd’hui. Cette entrée relativement précoce dans le monde du travail lui rappelle qu’il a réalisé trente ans de 3/8. Il pense probable que cela aura un impact sur sa santé et que, s’il en croit les statistiques, son espérance de vie est diminuée. Cependant, il n’a d’autre choix que de s’en accommoder.
La contestation
L’origine de son caractère contestataire remonte sans doute à l’enfance. Il n’y a pas eu d’évènement fondateur particulier, mais il se souvient que les injustices l’ont toujours révolté. Par exemple, il se remémore que l’une de ses institutrices donnait régulièrement (et devant toute la classe) des fessées à certains élèves. Et chose étonnante : seuls les garçons étaient humiliés de la sorte. Le jeune Eddie Puyjalon n’avait pas protesté à l’époque : que peut un enfant devant l’autorité d’un adulte ? Mais, il est certain qu’en ce genre d’occasion, il contenait sa colère. Chez lui, l’abus d’autorité et l’arbitraire ont toujours provoqué un malaise.
Eddie Puyjalon a commencé sa contestation « publique » en s’engageant syndicalement dès son entrée dans le monde du travail. Dans ce domaine, il est sans doute l’héritier de deux personnages : sa mère et un syndicaliste qu’il a rencontré dès son arrivée à l’usine. La première a longtemps milité à la CGT. C’était une femme très impliquée et consensuelle. Elle n’avait pas les défauts du syndicaliste jusqu’au-boutiste et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles elle a su se faire apprécier des dirigeants de l’usine. C’est ainsi que l’ancien patron de l’usine Sanofi prend régulièrement de ses nouvelles. Le second était selon lui « un exemple d’individu ». Sa vie professionnelle durant, il s’était engagé pour les autres. Il défendait coûte que coûte ses collègues de travail sans aucune distinction: il s’engageait aussi bien pour ses « amis » que pour ses « ennemis ». On sent bien qu’Eddie Puyjalon trouve chez ce personnage les traces d’un certain héroïsme. Il mentionne ainsi que pour le punir de son engagement, ce syndicaliste avait eu droit à un traitement de « défaveur » : il était installé, par exemple, sur les mauvaises machines... Cet engagement sans retenue pour les autres l’a incontestablement touché. Bien qu’il ne se reconnaisse aucun modèle, Eddie Puyjalon a été profondément influencé par ce qui reste pour lui deux figures du syndicalisme.
Son engagement personnel a été motivé par l’amélioration des conditions de vie et de travail des ouvriers qui ne vivaient pas dans le luxe. Les doubles actifs (les ouvriers paysans) vivaient relativement bien parce qu’ils tiraient un revenu supplémentaire de la ferme. Les ouvriers, eux, étaient moins bien lotis. Aujourd’hui, il est particulièrement préoccupé par le manque indéniable de sécurité dans son usine. Celle-ci est classée en Seveso 2 et il assiste, presque impuissant, à la dégradation de la situation. Il y a, selon lui, de vrais signaux inquiétants qui le rendent assez méfiant sur la sécurité des usines nucléaires par exemple.
La caractéristique de l’engagement syndical d’Eddie Puyjalon est de ne jamais se traduire par un excès. On pourrait dire qu’il possède une culture du « juste milieu », expression qu’il utilise souvent. Il n’a aucun ennemi particulier et pense que l’exercice syndical doit aboutir à un équilibre entre ce que les travailleurs peuvent légitimement obtenir et ce que les dirigeants sont capables de donner. Les travailleurs ont des droits, mais ne doivent pas oublier leurs devoirs. Tout est une question de mesure et le but est finalement de vivre dans une bonne entente. Il a probablement appris cette contestation sans excès au contact de ses deux figures syndicalistes tutélaires, mais elle n’est aussi pas sans lien avec sa personnalité. Depuis l’enfance, Eddie Puyjalon est quelqu’un de serviable et de consensuel. Il ne parvient pas à rester indifférent aux autres. C’est d’ailleurs pourquoi son épouse le surnomme avec humour « l’Abbé Pierre ».
Son engagement syndical est aussi marqué par un regret: celui du manque d’investissement des nouveaux travailleurs. Personne aujourd’hui ne souhaite s’investir au sein du syndicat. Ses jeunes collègues n’ont souvent d’intérêt ni pour leur entreprise ni pour les anciens. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’il est nostalgique d’un certain capitalisme familial. Il déplore le désintérêt généralisé et l’individualisme d’aujourd’hui et se souvient avec regret des relations empreintes de respect et d’affection qu’entretenait le patron avec ses ouvriers.
Le deuxième engagement très important de sa vie est celui pour la chasse et la protection de la nature. Il est adhérent de Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT) depuis sa création en 1989 et en devient le secrétaire général en 2008 (il en est le président depuis 2016). Rappelons que ce mouvement s’est constitué pour lutter contre les nouvelles réglementations sur la chasse décidées par l’Union Européenne notamment celles concernant la chasse aux oiseaux migrateurs issues de la directive dite « oiseaux ». Bien qu’adhérent de la première heure, Eddie Puyjalon ne s’est pas investi dans cette structure jusqu’en 2000. Or, cette année-là voit la préparation et l’adoption de la loi chasse sous la conduite de Dominique Voynet, ministre Verte de l’environnement, loi fortement génératrice de restrictions ou de contentieux selon ses opposants. La volonté du gouvernement d’alors de faire mieux respecter le droit communautaire en France fait peser de lourdes menaces sur des pratiques déjà anciennes comme la chasse de nuit.
Ce changement d’attitude des autorités va pousser Eddie Puyjalon à une action « coup de poing » le 14 juillet 2000. Ainsi, en ce jour de fête nationale, il participe, avec des chasseurs et des militants de CPNT, au blocage du Jumping de Blaye en Gironde, évènement international à forte résonance médiatique. Le but est alors d’alerter l’opinion et de faire pression sur les députés. Le blocage ne dura qu’une vingtaine de minutes, les participants étant eux-mêmes gênés de leur entreprise, mais cet évènement montre qu’un point de rupture était atteint. (Depuis ce blocage, Eddie Puyjalon et ses amis sont partenaires officiels du Jumping et n’ont jamais manqué une année pour aider à l’organisation).
Selon Eddie Puyjalon, les attaques venant de « Bruxelles » et du gouvernement français sont un acharnement injustifié contre des pratiques finalement assez peu répandues et surtout qui ont un impact limité sur les espèces et les espaces naturels. Il met toujours en parallèle les destructions dues à l’industrie, à l’agriculture ou à la pêche intensives et celles dues aux chasseurs ou aux braconniers. Pour lui, une conclusion s’impose : l’impact des pratiques traditionnelles est infime comparé à celui du secteur économique moderne qui agit comme un rouleau compresseur sur cette nature qu’il s’efforce de protéger. Il prend notamment l’exemple des civelles qui remontent encore dans l’estuaire de la Garonne. L’Union Européenne, dit-il, s’en prend aux braconniers qui prélèvent 200 grammes de civelles alors qu’au large, les chaluts en prennent beaucoup plus. Lui-même a d’ailleurs constaté l’explosion de la pression de pêche qui s’est traduite par l’augmentation notable du nombre de bateaux.
La révolte d’Eddie Puyjalon contre les autorités nationales et européennes vient donc d’abord de ce sentiment que les chasseurs sont devenus des boucs émissaires. Selon lui, les vraies causes de la dégradation des milieux naturels sont ailleurs. L’intensification de l’agriculture s’est par exemple accompagnée d’un déversement colossal de produits phytosanitaires dans l’environnement, de la mise en place d’un drainage à grande échelle et d’une élimination systématique des haies. L’urbanisation, quant à elle, a provoqué la disparition des habitats de la faune sauvage. Et, face à cette destruction de grande ampleur, la seule réponse des autorités semble être la stigmatisation de pratiques traditionnelles.
Le sentiment d’injustice est d’autant plus fort que les personnes qui sont ainsi visées participent activement et quotidiennement à la préservation des milieux naturels. Eddie Puyjalon précise que lorsque qu’il prélève un animal, il en fait vivre dix. Le prélèvement du gibier n’est en effet qu’une « infime partie de l’activité chasse ». Il explique que celle-ci se poursuit en dehors des périodes d’ouverture lorsque le chasseur participe à la plantation de haies, aux opérations de repeuplement ou à la protection du marais. Il est donc évident que le chasseur amateur est un protecteur de la nature. Par conséquent, Eddie Puyjalon conteste l’autorité qui vient « d’en haut », celle des technocrates de « Bruxelles » ou des chercheurs qui viennent lui signifier ce qu’il est autorisé à faire ou ne pas faire dans une zone qu’il fréquente, aime et protège depuis toujours.
Malgré cette révolte, Eddie Puyjalon dit comprendre la forme d’éthique qui se cache derrière l’opposition à certaines pratiques. Il croit en effet qu’il faut, en matière de chasse comme en tout autre domaine, savoir s’imposer des limites. Au fond, tout comme le syndicaliste, le chasseur doit être responsable. Il n’est donc pas entièrement hostile aux associations de protection de la nature ou même aux partis écologistes. Bien souvent, il trouve que les membres de terrain de ces mouvements sont relativement consensuels à l’inverse de leurs dirigeants nationaux au positionnement plus radical. Il pense notamment à Allain Bougrain Dubourg, président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux et opposant historique et médiatique au braconnage de la Tourterelle et bien sûr à Dominique Voynet. À l’échelon local cependant, il admet que les intérêts de chacun peuvent converger. C’est pour cette raison qu’il dit avoir parfois l'idée « saugrenue » de réunir un jour autour d'une même table les scientifiques, les ornithologues, les chasseurs et tous les gens de bonne volonté, afin d'aborder d'une manière posée et réfléchie la sauvegarde de la biodiversité. Il pense que la solution aux problèmes d’environnement viendra d’une collaboration étroite entre tous les acteurs. Seule une gestion intelligente, consensuelle et partagée pourrait permettre la restauration des secteurs atteints et dégradés des milieux naturels. En d’autres termes, il faudrait mettre fin aux affrontements stériles.
Malgré cette bonne volonté manifeste, Eddie Puyjalon sait parfaitement qu’il est difficile de dépasser les antagonismes. Il admet aussi que l’engagement militant doit malheureusement passer par l’identification d’un « ennemi » qui sert de catalyseur. Par ailleurs, la réduction des oppositions doit sans doute passer par des concessions de la part des deux camps. Or, lorsqu’on l’interroge sur certains dossiers comme la chasse de printemps dans le Médoc ou la capture des Ortolans dans le sud-ouest, on sent bien qu’il est loin d’admettre que ces pratiques devraient être proscrites.
Sur l’Ortolan, il estime qu’interdire le piégeage de manière autoritaire ne servirait à rien ; seule son utilisation dans le cadre mercantile devrait être empêchée. À propos du braconnage de la tourterelle des bois, il pense qu’il est tout à fait possible de prélever des oiseaux sans mettre en danger la population globale. Il faut simplement que cette pratique reste une particularité régionale. Lui-même dit n’être jamais allé chasser la tourterelle et avoir milité pour que cette chasse reste réservée aux Médocains. Le Médoc a été façonné par les pylônes ; ils font donc partie de son identité. Pour Eddie Puyjalon, c’est peut-être le point le plus important.
Finalement, il semble n’avoir aucune position dogmatique : il semble être ni pour ni contre la chasse de printemps ou la capture des ortolans. Il défend l’idée de laisser les gens pratiquer leur art de vivre comme ils l’ont toujours fait. Cette position semble relever d’un sentimentalisme davantage que d’un raisonnement rationnel. Il est touché par le fait que l’on puisse priver certaines personnes d’une pratique qui a toujours fait partie intégrante de leur existence, qui forge leur identité, et qui les lie à leur terre de naissance. Ce sentiment est d’autant plus fort, semble-t-il, que la menace est exprimée par une froide autorité scientifique et technocratique.
L’autre aspect de l’engagement d’Eddie Puyjalon en faveur de la chasse est sa présence aux élections locales. Il s’est présenté sous l’étiquette CPNT à plusieurs reprises depuis 2002 aux élections cantonales, législatives, sénatoriales et européennes. Ses meilleurs scores concernaient les élections cantonales où il est parvenu, en 2002, à obtenir 43% des voix au deuxième tour. Généralement, ses scores ont été cependant beaucoup plus faibles : entre 3,12% et 18% des voix selon l’année et le type d’élection. Il reconnaît que l’audience de CPNT a baissé depuis l’élection présidentielle de 2002 où le mouvement avait réussi à obtenir des scores plus qu’honorables pour un mouvement de cette importance.
Eddie Puyjalon voit trois explications. La première est que le contexte a changé. Les débats sur la chasse et les pratiques traditionnelles ne font plus l’actualité et les Verts ne sont plus au gouvernement. Les réussites électorales de CPNT reflétaient en partie une réaction épidermique contre l’arrivée des écologistes au gouvernement et à leur volonté de faire appliquer la réglementation de façon stricte puis de la durcir. La deuxième est que Jean Saint- Josse, figure emblématique du mouvement, a volontairement passé le témoin à plus jeune que lui, dans un contexte politique difficile (notamment avec le « vote utile »), en la personne de Frédéric Nihous moins connu. Eddie Puyjalon reconnaît à Jean Saint-Josse un côté excessif, mais il sait aussi que sa personnalité a fait beaucoup pour le succès des idées qu’il défend. Enfin, la troisième raison est plus « sociologique ». Il y a davantage d’urbains aujourd’hui qu’hier alors que les supporters de son parti se trouvent naturellement plutôt à la campagne. La disparition progressive du mode de vie rural prive CPNT d’un certain nombre d’électeurs. Par ailleurs, l’urbanisation galopante autour de Bordeaux a modifié la population des circonscriptions périphériques de l’agglomération. En bref, elles sont beaucoup moins rurales qu’auparavant et les idées défendues par CPNT ont automatiquement moins d’échos.
Regard sur la France et le monde
Malgré cet engagement politique, Eddie Puyjalon ne se sent aujourd’hui ni de droite ni de gauche. Il est, bien sûr, issu d’une famille de gauche, mais comme beaucoup d’adhérents ou sympathisants de CPNT, il reconnaît avoir été très déçu par le mitterrandisme. Jeune électeur, le 10 mai 1981, comme de nombreuses personnes, il a bu le champagne. Puis est venu le temps du désenchantement. Les conditions salariales ne se sont pas améliorées et l’argent a été dilapidé. La gauche n’a pas fait mieux que la droite, loin de là. Il se souvient particulièrement et avec amertume des infirmières recevant des coups de matraque, de l’affaire Elf et de « l’épisode Jospin » qui a vu l’avènement de la gauche plurielle et l’arrivée au coeur du pouvoir des écologistes emmenés par Dominique Voynet.
Même s’il dit de façon répétée s’inscrire dans le ni droite ni gauche, il semble être maintenant plus intéressé par le discours et les actions de la droite. À l’origine de cette préférence qu’on pourrait qualifier de « conjoncturelle », il y a bien sûr la trahison de la gauche, mais ce n’est pas la seule raison. Il constate qu’il est plus facile de discuter avec les représentants de la droite. Il prend acte par exemple que seule la droite accepte aujourd’hui de dialoguer avec CPNT. Il trouve que les personnalités de ce camp sont plus à l’écoute et plus abordables. Ils sont attentifs aux cas particuliers, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas indifférents à la personne humaine et aux difficultés qu’elle peut rencontrer au jour le jour. Les responsables de la gauche ont, selon lui, une attitude plus ambiguë. Ils ont notamment des difficultés à mettre en accord leurs paroles et leurs actes.
Lorsqu’on l’interroge sur « l’état du monde » et sur son avenir, Eddie Puyjalon se montre pessimiste. Une conviction est ancrée en lui : « le meilleur est derrière nous ». Il y aura, dans les décennies à venir, des régressions sociales et environnementales sans doute inévitables. Il voit au jour le jour se dégrader les conditions de travail dans son usine et il se dit de plus en plus inquiet pour la sécurité et la santé des ouvriers en général. Mais, cette vision pessimiste de l’avenir est sans doute à replacer dans la nostalgie de la vie rurale qu’il a connue pendant son enfance et sur laquelle il pense, avec regret, devoir faire un trait.
Tout le pousse aujourd’hui à se retirer, à rester « dans son coin », en compagnie de sa femme et de sa fille. Finalement, dit-il, nous sommes pris dans un tourbillon ; la situation, globalement, nous échappe. Cependant, il croit, ou se persuade, que son action n’est pas complètement inutile, qu’il peut encore influer sur le cours des choses. Malgré son engagement quotidien, Eddie Puyjalon est donc plutôt pessimiste. Il va même jusqu’à dire qu’il « se punit tous les jours » dans la mesure où son activité militante lui apporte des soucis, de la fatigue, etc., pour un résultat somme toute hypothétique. En lui semblent donc cohabiter deux forces contradictoires. D’abord celle qui le pousse à conserver son esprit de révolte et à participer à son échelle à faire évoluer un monde à l’avenir incertain. Ensuite, celle qui le pousse à déposer les armes et profiter d’une existence la plus paisible possible en se consacrant à sa famille et à sa passion pour la nature.
On sent bien qu’il serait prêt à se retirer dans la hutte de chasse qu’il s’est construit dans l’estuaire de la Gironde. Il évoque ce lieu sans élever la voix, comme si en parler sans précaution c’était déjà le dévoiler au monde entier alors qu’il voudrait qu’il reste pour longtemps un jardin secret. C’est de cette tonne qu’il contemple la nature immuable à l’abri de l’autre monde, celui dans lequel il ne peut s’empêcher de revenir pour accomplir son action militante. C’est ce retour, dans une certaine mesure « obligé », qui constitue une partie de la punition dont il parle. Il entraîne en effet autant de soucis et de tourments que la nature lui apporte de sérénité et de plénitude. Eddie Puyjalon est donc pris entre deux mondes et entre deux forces qui s’opposent. Pour l’instant, il ne semble vouloir céder complètement ni à l’une ni à l’autre et reste ainsi entre deux eaux. Il a pris acte de cette contradiction.
Paru dans le Monde le 15 mars 2006
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