La crise est-elle une bonne nouvelle pour l'environnement ?
La crise actuelle est en train de nous rappeler une chose : quand l’activité économique ralentit, les sociétés industrielles tendent à devenir plus vertueuses d’un point de vue environnemental. Lorsque la croissance est en berne en effet, le chômage augmente et les revenus diminuent. De là s’en suit une adaptation naturelle de la part de la population : la consommation des biens décroît, les déplacements se raréfient, l’économie du recyclage est dynamisée. Autant d’éléments qui contribuent indirectement à la préservation de l’environnement en induisant une baisse de la pollution et des flux de matière.
La crise économique actuelle ne va donc pas tarder à montrer un infléchissement de la courbe de production de CO2 à l’échelle mondiale comme cela s’est produit au moment des crises économiques liées aux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 ou à l’effondrement du bloc soviétique au début des années 1990.
Ce qui sied à l’économie ne sied pas à l’environnement et vice versa et la crise économique globale pourrait bien être un début de réponse inattendue à la crise écologique planétaire. En tout cas, en termes d’efficacité écologique, cette période de récession vaut sans doute tous les Grenelles de la Terre... La question que l’on se pose alors est la suivante : la protection de l’environnement peut-elle être le fruit d’un acte de la volonté ou est-elle condamnée à être imposée par les circonstances, en l’occurrence par une crise économique salutaire ?
Pour répondre à cette question, il faut rappeler que depuis les années 1970, décennie où la préoccupation environnementale a émergé à l’échelle des États, les gouvernants n’ont jamais pu reconnaître l’évidente incompatibilité entre la poursuite du développement et la préservation de l’environnement. Ils ont préféré soutenir une thèse qui ne s’est jamais vraiment vérifiée : celle du développement durable. Cette dernière stipule que la croissance n’est nullement incompatible avec le souci écologique, mais qu’au contraire, elle est une partie de la solution. Le rapport Brundtland de 1987 qui « propulsa » sur la scène politique mondiale le terme de développement durable, affirme même que c’est le sous-développement qui est à l’origine de la majeure partie des problèmes d’environnement !
C’est ainsi que les gouvernants des pays démocratiques et la grande majorité des partis politiques soutiennent aujourd’hui des politiques de croissance économique tout en affirmant, de façon contradictoire, que la préservation de l’environnement est devenue une priorité... Pourtant, comment nier que plus le développement s’accentue, comme depuis quelques années en Chine et en Inde, et plus la situation environnementale se dégrade ?
Ce déni volontaire de réalité s’explique par le fait que les États du monde entier ne sont jamais vraiment parvenu à mettre librement en œuvre un autre projet que celui de l’amélioration des conditions de vie. Les sociétés démocratiques et libérales ont depuis toujours été les plus ferventes supportrices de cette entreprise consistant à poursuivre toujours plus loin l’augmentation des niveaux de vie. Elles ont semblé contraintes par une sorte de force vitale qui les a sans cesse obligées à faire émerger des conditions toujours plus favorables au bien-être matériel.
C’est ce qu’avait parfaitement compris Tocqueville dès la première moitié du XIXème siècle, au contact des premières sociétés démocratiques d’Amérique. Il avait constaté que « la passion du bien-être » était « irrésistible » et que bien des phénomènes de la société américaine s’expliquaient alors par ce désir dévorant d’amélioration des conditions. Celui-ci ne s’est jamais vraiment démenti ensuite et c’est pourquoi le XXème siècle a dû inventé le concept de développement durable : parce qu’il n’a pas été possible de défendre un projet contraire et qu’il fallait donc, coûte que coûte et même si cela ne correspondait à aucune réalité concrète, faire de la poursuite de la croissance un objectif compatible avec la protection de l’environnement.
En réalité, la reconnaissance d’une incompatibilité structurelle entre développement et environnement n’a jamais été possible car elle impliquait soit de délaisser de manière assumée, et donc quelque peu cynique, les préoccupations environnementales, soit de mettre en place une politique écologique autoritaire et très restrictive telle que le préconisait Hans Jonas par exemple. Pour fuir cette alternative, on a préféré développer ce que, jusqu’à preuve du contraire, il faut bien nommer un mensonge romantique.
Le développement durable, pour reprendre une expression de Jonas, possède en effet toutes les caractéristiques de l’« idéal prétexté », c’est-à-dire qu’il énonce une fin généreuse tout en en poursuivant une autre beaucoup moins glorieuse consistant, dans notre cas, à pourvoir toujours plus « aux petites commodités de la vie ». Il existe ainsi une véritable difficulté à élaborer des politiques qui, comme celles qui devraient être mises en œuvre dans le cadre de la crise écologique, ne s’inscrivent pas dans le court terme et ne sont pas une réponse immédiate à la satisfaction des besoins.
Cet enfermement du politique dans le court terme, explique l’attitude des gouvernements face à la crise économique et leur incapacité à répondre politiquement à la crise écologique. Plutôt que d’accompagner ou de profiter de cette décroissance « inespérée » pour atteindre les objectifs de protection de l’environnement, les gouvernants ne songent qu’à sortir au plus vite de cette période de récession. Tous les efforts entrepris actuellement n’ont qu’un seul but : renouer avec la croissance. Or, les plans de lutte contre la crise économique pourraient bien être ceux de la relance de la crise écologique.
Ceci est d’autant plus surprenant que les sociétés démocratiques sont souvent à l’origine d’aspirations antimatérialistes et semblent sincèrement préoccupées par la dégradation de l’environnement planétaire. Le problème est qu’elles sont incapables d’assumer jusqu’au bout les implications de leurs désirs et qu’elles paraissent in fine uniquement préoccupées par la satisfaction de leur bien-être au quotidien. C’est pourquoi elles ne répondront sans doute jamais au défi écologique par un acte de liberté. Autrement dit, c’est malgré elles qu’elles rempliront leurs obligations à l’égard de l’environnement. Dans toutes les circonstances, toutes affaiblies qu’elles puissent être, elles useront toujours de leur liberté d’action et du peu d’énergie qui leur reste non pour construire une hypothétique société durable mais bien pour « satisfaire les moindres besoins du corps ».
Bertrand ALLIOT