Plastique, glyphosate, moteur thermique : nous délivrer du mal nous fait-il du bien ?
Chronique pour le magazine Transitions & Energies N°10
En dehors du noir et du blanc, on cherche désespérément toutes les nuances de gris. Le vrai d’un côté, le faux de l’autre. Voilà l’alternative en dehors de laquelle plus rien existe. C’est ainsi que les « fakenews » prospèrent. Non parce que mensonges, erreurs, bêtises ou volonté de tromper se soient soudainement développés, mais parce qu’une quête obsédante de vérité est apparue. Tout ce qui ne tombe pas dans la catégorie du vrai est rangé dans celle du faux et vice versa. C’est le règne de la pensée binaire où la nuance a disparu et où s’affrontent par conséquent sans relâche les forces du bien et du mal…
Cette recherche d’absolu n’atteint sans doute pas de la même manière toutes les sphères de la société, mais est suffisamment puissante et répandue pour déteindre sur celle du pouvoir. A un rythme régulier et avec un zèle imbécile, celle-ci se met à chercher querelle aux choses que la foule a pris en grippe. Ainsi, sous les encouragements (voire les hurlements), elle veut abattre le « mauvais » et s’empresse par exemple de déclarer la guerre aux plastiques à « usage unique » (dans le cadre d’une loi anti-gaspillage). Haro sur les bouteilles PET qu’entreprises et collectivités distribuent, haro sur les versions plastiques des sachets de thé, des confettis ou des jouets pour enfants… Ils ont déjà été bannis et le reste suivra jusqu’à élimination totale à l’horizon 2040. Le plastique est moche, c’est vrai, mais il est aussi hygiénique, léger, modulable, bon marché et recyclable… La « mer de plastique » dont les médias font leur choux gras et les « micro-plastiques » dont il faut encore prouver qu’ils posent des problèmes sanitaires ne doivent pas nous faire oublier ses fantastiques qualités. Une fois le mal éradiqué, aurons-nous obtenu le bien ? Non, nous aurons obtenu un autre mal. On peut évidemment s’extasier devant les couverts en bambou, les pailles en carton ou les jouets en bois, mais il est très naïf de croire que leur utilisation soit sans effet sur la nature et l’environnement… Je ne serais pas surpris que l’usage de ces fiers remplaçants finissent par mettre en valeur les qualités incomparables du plastique et relativise ses effets pervers…
Il n’y a pas d’absolu, mais seulement du relatif. Il ne faut pas comparer un monde sans plastique avec un monde avec plastique, mais un monde avec plastique et un monde avec ce qui le remplace… L’équation est plus complexe que ce que la pensée binaire laisse accroire. Ainsi, un monde sans glyphosate sera-t-il meilleur qu’un monde avec glyphosate ? Rien est moins sûr car il faudra labourer bien davantage en perturbant les sols, consommer plus de gasoil, épandre de nouveaux herbicides et obliger les agriculteurs à supporter un surcroit de travail et des pertes de revenu… Cela n’a pas empêché le gouvernement, oublieux de la nuance, de vouloir précipitamment le condamner à mort.
Le plastique, le glyphosate, le nucléaire, le diesel, le chauffage au bois et soudain la sentence tombe sur le moteur thermique. La Commission Européenne qui se délecte des « objectifs à atteindre » a décidé qu’il fallait l’éliminer d’ici 2035… La subtilité de la mesure saute au yeux. Avides de passer à l’action, de nouveaux camions se dirigent vers les carrières pour extraire le cobalt, le néodyme, le lithium et le cuivre qui serviront à fabriquer des batteries électriques. Les vertes prairies se préparent à devenir des cimetières où s’entasseront des millions de véhicules fonctionnant parfaitement, mais mis au rebut pour non conformité… Les centrales à charbon parce qu’elles sont encore ce qu’il y a de plus efficace et de moins couteux pour produire de l’électricité, sortent de terre comme des champignons. Il faut bien en effet adapter les moyens de production à la croissance de la demande… Quant à l’européen moyen, ce déclassé qui pleure déjà ses usines de production, aura t-il les moyens d’acheter demain un véhicule ? Rien est moins sûr…
Jeter l’anathème sur un coupable ou un ennemi est devenu le nouvel art de gouverner. Les objectifs ont l’avantage d’être simples à formuler et simples à comprendre. En pratique, la mise en oeuvre est heureusement plus délicate et c’est ainsi que les gouvernants finissent toujours par mettre de l’eau dans leur vin. En attendant, ils ont le sentiment du devoir accompli : demain, le monde sera bon car ils ont décidé aujourd’hui de se débarrasser du mal.