La révolte des agriculteurs sonne le glas de l’écologie… et annonce un retour salutaire à l’environnement
Publié dans Valeurs Actuelles le 31 janvier 2024
Qui pourrait nier que la crise agricole actuelle est liée aux politiques écologiques menées tambour battant par l’Union Européenne et son élève docile, la France ? La crispation autour des normes est la preuve la plus éclatante que les agriculteurs - mais aussi un grand nombre de professionnels - sont de plus en plus exaspérés par les injonctions normatives qui ont pour but de sauver la planète.
En réalité, les politiques environnementales ont été placées progressivement, à partir du milieu des années 2000, sous l’égide de l’écologie. Cela signifie que l’objectif global n’est plus de corriger les effets pervers du développement économique en recherchant un compromis entre les intérêts économiques et sociaux d’un côté et les intérêts de l’environnement de l’autre, mais de faire de ce dernier la question prioritaire qui doit s’imposer à toutes les autres. A l’inverse de la logique environnementale, la logique écologique pousse en effet les pouvoirs publics à vouloir s’adapter dans l’urgence pour faire face à un problème global menaçant la civilisation. Dès lors, puisque qu’il s’agit d’échapper à la mort, tous les autres sujets deviennent secondaires…
Cette évolution a entraîné un glissement sémantique tout à fait significatif : le mot écologie s’est imposé partout tandis que le mot environnement mais aussi la fameuse expression “développement durable” ont presque disparu… Ainsi, en France et dans de nombreux pays d’Europe, les Ministères de l’Environnement se sont transformés en Ministère de l’Ecologie. L’évolution n’a pas été seulement sémantique : dans notre pays, l’administration de l’écologie s’est vu octroyer la responsabilité des politiques de l’énergie, des transports et du logement… Son rayon d’action s’est donc considérablement élargi. Dans ces domaines, cela signifie que les priorités ont changé et qu’elles sont entièrement déterminées par la vision écologique.
Ces changements ont eu lieu au-delà de ce ministère. En France, le premier ministre est directement responsable de “la transition écologique”. Au niveau de la Commission Européenne, il existe un Vice-Président dirigeant “le groupe des commissaires pour le Pacte Vert Européen” dont font notamment partie le commissaire à l’agriculture, le commissaire aux transports et le commissaire à l’énergie. Cette organisation hiérarchique implique que ces commissaires soient prioritairement soumis aux enjeux écologiques.
Le résultat de ce glissement progressif vers l’écologie est la mise en œuvre de politiques de décroissance contre lesquelles se révoltent aujourd’hui le monde agricole. Les restrictions sur les phytosanitaires, sur l’usage de l’eau, la mise en place des jachères, etc. entraînent très clairement des baisses de production et ont un impact social très important. La révolte paysanne française vient s’ajouter aux troubles créés antérieurement par les politiques écologiques : les gilets jaunes en France et les mouvements spectaculaires des agriculteurs aux Pays-Bas ou plus récemment en Allemagne.
Les politiques écologiques de sobriété dont les effets sont par ailleurs impossibles à évaluer ne peuvent qu’entraîner des troubles sociaux car elles accentuent la pauvreté alors que la situation économique est déjà délétère. Dans ce contexte, l’Etat est obligé de revoir progressivement ses ambitions et d’arbitrer en défaveur de l’écologie.
La sortie du thème de l’énergie du Ministère de l’Ecologie et son entrée récente au sein de Ministère de l’Economie constitue un des premiers signes d’un changement profond de stratégie. Sous pavillon de l’écologie, les politiques de l’énergie ne servaient plus les intérêts bien compris de la nation et des français qui réclamaient des ressources abondantes et bon marché, mais ceux de “la planète”. La désorganisation fut telle qu’il a semblé nécessaire de la libérer définitivement des griffes de l’écologie pour la remettre au service de l’économie, comme ce fut le cas avant 2007. La décision récente de mettre les agents de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) sous l’autorité du préfet procède sans doute d’une même rationalité. La logique écologique, prisonnière de l’alternative “le salut ou la mort” est par nature inquisitoriale. D’où la nécessité de priver l’écologie de ses moyens d’action.
Les agriculteurs ne sont pas les seuls concernés et il y a des chances que leur mobilisation fasse boule de neige. Les crises sont en train de couver dans les domaines des transports et du logement. Le mise en œuvre du Diagnostic de Performance Energétique (DPE), les normes de constructions de plus en plus sévères, la définition de zones à faible émission, la mise en place de la vignette Crit’air, la fin annoncée du moteur thermique sont autant de mesures pesant sur les ménages obligés de changer de véhicules, sur les promoteurs qui subissent l’augmentation des coûts de construction ou sur les petits propriétaires retirant leurs biens du marché pour non-conformité.
Il est donc probable que les jacqueries se multiplient dans les semaines ou les mois à venir. Comme dans le cas de l’énergie hier, de l’agriculture aujourd’hui, les pouvoirs publics devront revoir leurs ambitions écologiques dans les domaines des transports et du logement. D’un point de vue institutionnel, ces deux thématiques quitteront alors probablement le Ministère de l’Ecologie. Celui-ci redeviendra celui qu’il aurait dû rester : le Ministère de l’Environnement. Car, le changement d’état d’esprit s’accompagnera d’un nouveau glissement sémantique. Le mot écologie sera réservé à la sphère militante et aux partis verts tandis que les institutions s’approprieront de nouveau le mot environnement. Ce retour à la normale signera probablement la fin des politiques de décroissance. En tout quiétude, il sera alors possible de mener des politiques de l’environnement ayant pour ambition non de sauver le monde mais de simplement rendre le système économique plus vertueux.