Bitcoin : Greenpeace veut-elle tuer sa poule aux œufs d’or 2.0. ?

Chronique pour le magazine Transitions & Energies N°21

Avec le WWF, Greenpeace est certainement l’organisation de défense de l’environnement la plus connue dans le monde. Au siècle dernier, elle est créée pour lutter contre la chasse à la baleine. Dans de petites embarcations, des militants défiaient les énormes baleiniers au péril de leur vie. Depuis cette époque, les actions « coup de poing » sont leur marque de fabrique : ils savent mieux que quiconque attirer sur eux les lumières médiatiques.

Cependant, l’époque des baleines est révolue et Greenpeace a perdu de sa superbe. Après son combat contre la pêche industrielle et les essais nucléaires atmosphériques, elle a embrassé des causes de plus en plus contestables. Il faut se souvenir de sa campagne pour l’interdiction du chlore alors que son utilisation pour assainir l’eau fut un progrès colossal pour la santé publique. Depuis des années, l’organisation a aussi pris en grippe le riz doré, variété génétiquement modifiée enrichie en vitamine A et qui permet de lutter contre les carences en bêta-carotène. Très récemment aux Philippines, en brandissant le principe de précaution, la célèbre ONG a réussi à faire interdire la céréale sur-vitaminée pour le plus grand malheur de plus de 2 millions d’enfants sous-vitaminés…

Non seulement Greenpeace s’élève contre des innovations qui sont indispensables aux êtres humains, mais elle en favorise d’autres défavorables à l’environnement.  Dans le domaine énergétique, elle défend en effet bec et ongle le système de production d’électricité basé sur les énergies renouvelables intermittentes et fustige, contre vents et marées, l’électricité nucléaire. Peu importe l’échec de l’Allemagne toujours à la traine de la France en matière d’émission de CO2où le solaire et l’éolien sont rois. Elle préfère un système couteux, gourmands en matières premières, calamiteux pour les paysages et qui ne peut fonctionner sans l’utilisation massive de charbon ou de gaz.

Comble de l’ironie, les pieds nickelés de l’écologie sont aujourd’hui en train de combattre la seule industrie qui permettrait de sauver ce système imbécile basé sur les énergies renouvelables intermittentes : le minage de Bitcoin. Dans un rapport intitulé Mining for Power, en effet, elle affirme que l’industrie de la célèbre Cryptomonnaie est intimement lié à l’industrie des énergies fossiles et qu’elle participe de manière accélérée à la détérioration de l’environnement et au changement climatique. Il est vrai que le système des cryptomonnaie est gourmand en énergie. Pour valider les transactions associées à la blockchain, il faut installer de puissantes machines de calcul appelées ASICS. Les « mineurs de bitcoins » sont précisément ceux qui les installent et qui ensuite, parce qu’ils permettent au système de fonctionner, reçoivent des bitcoins en récompense. La consommation d’électricité pour le minage de bitcoin est aujourd’hui estimée à 100 TWH par an, c’est-à-dire l’équivalent de la consommation d’un pays comme la Finlande.

Cependant, les mineurs de bitcoin déjà assez malin pour se lancer un business auquel personne ne comprend rien ont de la répartie et lance une contre-offensive qui pourrait bien mettre à terre la célèbre ONG. Le plus grand défaut d’un système de production électrique basé sur les énergies intermittentes est la difficulté à faire correspondre l’offre et la demande. C’est la raison pour laquelle il doit être couplé à un système de production pilotable de même capacité. Ce dernier s’arrêtera de produire ou fonctionnera à plein puissance pour s’adapter à la production des intermittentes incontrôlables.  Or, les mineurs de bitcoin disent apporter une solution pour optimiser ce genre de réseau électrique et peut-être, à termes, les rendre viables et plus vertueux d’un point de vue environnemental.  

Les mineurs de bitcoin affirment en effet qu’ils sont prêts, à tout moment et en moins de deux minutes, de cesser toute activité. Lorsque la demande est très forte, ils peuvent, sans dommage, débrancher leurs machines pour libérer de la puissance. Ils sont donc les clients parfaits pour tout vendeur d’électricité ayant basé sa production sur des renouvelables intermittentes. Dans un monde idéal où le minage serait présent partout et donc intégré au système de production d’électricité, on ne brancherait plus les usines à gaz en cas de forte demande, on se contenterait de débrancher les machines à bitcoin... Ainsi, il serait possible de mettre au rebus les usines de production les plus polluantes. En fait, le bitcoin pourrait bien être le chaînon manquant de la transition énergétique telle que la souhaite Greenpeace. L’État du Texas semble aujourd’hui le démontrer : pour éviter de nouveaux black-out et stabiliser son réseau, sa stratégie a été d’attirer les mineurs de bitcoin sur son territoire. L’augmentation observée récemment du solaire et de l’éolien dans l’État américain serait en grande partie dû à l’arrivée massive d’ASICS.

Le minage de bitcoin a un autre gros avantage qui devrait intéresser Greenpeace : il peut s’installer, à l’image d’un écologiste survivaliste, « hors réseau ». Les machines peuvent être déposées dans presque n’importe quel coin isolé du monde et être raccordé à une source d’électricité que personne ne peut utiliser. Ainsi, dans plusieurs zones en développement, des barrages hydroélectriques ont été construits, mais sont encore en situation de surproduction faute de clients ou faute de pouvoir se raccorder à un réseau de distribution. En attendant que ce dernier existe ou soit pleinement opérationnel, les mineurs de bitcoins viennent installer leurs machines pour profiter d’une électricité bon marché. C’est ce qui s’est produit récemment au Parc National de Virunga au Congo. Les centrales hydroélectriques construites par les autorités du parc étant encore largement sous-utilisées, les mineurs sont arrivés pour profiter d’une électricité qu’ils sont les seuls, pour l’instant, à pourvoir exploiter... Pour les autorités du Parc, ces clients sont une véritable bénédiction. Ils ont même contribué à sauver Virunga. En raison d’un conflit armé, les touristes ont totalement déserté la zone. Dans un contexte très tendu, il ne reste sur place qu’Emmanuel de Merode, emblématique directeur du Parc et véritable héros de l’environnement, les courageux gardes locaux et des machines à bitcoin qui tournent à plein régime. Au milieu du chaos, ces dernières permettent une rentrée d’argent  pour maintenir le parc à flot et sauver ses plus grands enfants, les gorilles de montagne.

Le Bitcoin est-il bon pour la planète ? A vrai dire, là n’est pas la question. Il s’agirait plutôt de se demander s’il est une solution viable dans le cadre des échanges monétaires. Mais, lorsque Greenpeace l’attaque pour dénoncer ses méfaits sur l’environnement, elle ferait mieux d’affuter ses arguments. Comme beaucoup d’ONG, elle est malheureusement devenue une officine anti-tout prompte à dénoncer toute innovation consommant un tant soit peu d’énergie. Elle est tellement éprise de justice climatique qu’elle passe son temps à se chercher des ennemis, quitte à tuer sa propre poule aux œufs d’or 2.0.